d'un rêve de l'or à la réalité de l'argile ...
Jean Claude THILLET
ou l'aventure américaine d'un enfant de Saint-Jacques-des-Arrêts
une chronique extraite d'un récit de Maurice THILLET son petit neveu
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prologue
De ces garçons, Jean Claude alias "Marius", et Joanny Joseph dit "Joseph", tous deux nés à Saint-Jacques-des-Arrêts dans la ferme du Creux des Vaux, l'administration militaire avait perdu la trace, et les déclara insoumis pour ne pas s'être présentés aux exercices exigés par la réserve.
Et pourtant ils n'étaient pas effacés de la mémoire de Jean Ernest Victor THILLET, propriétaire du magasin de vêtements "la Grande Maison" à Paray-le-Monial, qui se plaisait à évoquer devant son fils Maurice, à qui nous devons ces lignes, "ses deux oncles d'Amérique" ...
Car c'était bien pour avoir rêvé de l'Amérique et de la vie nouvelle qu'elle pouvait leur offrir, qu'ils s'en étaient allés, et qu'arrivés la-bas, même la famille proche les avait perdus de vue.
Jusqu'à ce que ce même Maurice THILLET, leur petit neveu, parvienne à retracer le parcours de l'aîné, Jean Claude, avec l'aide de Micheline PERRAUD de Montréal, et de Margaret ANDERSON, archiviste de la ville d’Athabasca, au Canada, et que l’on sait ce qu’il est advenu sur le continent américain de ce THILLET, fils de France parti pour l'Amérique où l'attendaient 26 années d'une vie nouvelle, exceptionnellement nourrie de rêves, de projets et d'activités différentes que l'on vient ici vous raconter.
Jean Claude THILLET voit le jour le 15 novembre 1863 à Saint-Jacques-des-Arrêts dans la ferme du Creux des Vaux, et y demeure avec ses parents Antoine THILLET et Marguerite BESSON jusqu’en 1871, année à la fin de laquelle la famille quitte la ferme pour s’installer sur la commune voisine de Tramayes.
Ainé d’une fratrie de 13 enfants, mais dont 5 vécurent moins de 10 années, c’est sous le sobriquet de « Marius » qu’on le connait durant son enfance et son adolescence.
Déclaré « bon pour le service » au Conseil de Révision de Tramayes sous numéro 12 du tirage au sort, il est ainsi décrit : « cheveux et sourcils châtains, yeux roux, front couvert, menton rond, visage ovale, taille 1,66 m, signe particulier: taches de rousseurs » .
Incorporé dans la cavalerie le 12 décembre 1884, au 26ème Régiment de Dragons en garnison à Dijon, il accomplit 4 ans de service obligatoire, période durant laquelle il perd sa mère décédée le 3 mai 1887 au bourg de Tramayes ; le 8 septembre 1888, il est renvoyé dans ses foyers avec en poche un certificat de bonne conduite.
Dans les cinq années qui suivent, il effectue deux périodes d’exercices militaires dans le cadre de la réserve de l’armée active. Mais à partir de là l’administration militaire perd sa trace … et le déclare insoumis à deux reprises les 18/12/1900 et le 21/11/1908.
Car après avoir travaillé comme domestique en 1891 à Juliénas au hameau de la Bottière chez le vigneron Claude DEBIZE puis en 1892 à Brandon, et alors que son père veuf accompagné de ses filles et de son autre fils Joanny Joseph a quitté Tramayes pour le hameau du Chalument à Pierreclos, il a rejoint le port de Boulogne pour s'embarquer sur le navire « Amsterdam » de la compagnie maritime Holland America Line à destination de New-York où il arrive le 24 septembre 1894 avec ses deux bagages, accompagné de Marie JANIN et de ses cinq enfants, de Brandon, dont le mari Joseph PERRAUD est déjà installé à Montréal.
Il passe ses premières années de migrant aux Etats Unis, sans que l'on sache où il est allé et ce qu'il y fit ; peut-être avait-il rejoint l'un des états de la côte ouest pour se mêler aux importantes communautés françaises.
Mais là où il est, c'est par la presse qu'il apprend que le bâtiment l'Excelsior, qui vient d'Alaska, a accosté à San Francisco avec à son bord une cargaison d'or évaluée à un demi-million de dollars.
De l'or ? Oui, on dit que dans le Grand Nord du Canada, là où la rivière Klondike se jette dans le fleuve Yukon, il y a des gisements incroyablement riches, jusqu'à quinze fois plus que ceux de Californie quand la région connut elle-même une ruée vers l'or près d'un demi-siècle plus tôt ...
Dans ces Etats-Unis d'Amérique en pleine crise économique sous l'administration du président Grover CLEVELAND, la rumeur se répand comme une trainée de poudre, charriant avec elle les fantasmes de fortunes immenses et vite faites.
Entre 100 et 120 000 personnes ont pris en quelques mois la route du Klondike, parmi eux 30 à 40 000 seulement sont arrivés à destination après un périple d'un an, 15 à 20 000 sont devenus prospecteurs, 4 000 d'entre eux auraient trouvé de l'or, et à peine quelques centaines seraient devenus riches ...
Pour atteindre Dawson City, l'épicentre de la ruée, il fallait sacrément prendre son élan, surtout choisir le bon itinéraire, et ce n'était pas facile : on recensait 8 routes principales, dont 4 traversaient entièrement le territoire canadien. Si aucune de ces routes n'était idéale, Claude THILLET choisit celle qui passait par Calgary, Edmonton, remontait la rivière Athabasca par bateau à aubes jusqu'au débarcadère d'Athabasca Landing, puis se poursuivait par canot sur la rivière des Esclaves.
Claude THILLET est déterminé à se lancer à corps perdu dans cette grande aventure de près de 4 000 kms, et il connait les difficultés auxquelles il va devoir se confronter.
D'abord, le règlement imposé par les autorités canadiennes dès le début de la ruée qui fait obligation à tous les candidats au statut de milliardaire de disposer de suffisamment de vivres pour une année entière, ce qui représente environ 520 kgs de nourriture, auxquels il faut ajouter vêtements, outils et équipements divers : au total près d'une tonne qu'il faut acheminer.
Ensuite, le terrain. Car en dehors des voies navigables par bateaux à aubes et celles seulement accessibles aux canots, il s'agit de pistes improvisées parfois impraticables aux animaux de trait : il faut alors transporter à dos d'hommes, diviser le chargement en fractions d'environ 30 kgs, porter la première sur 3 kms, revenir chercher la seconde, et ainsi de suite, une trentaine de fois par étapes. Tout cela dans des régions d'une nature sauvage où les températures flirtent avec les moins cinquante degrés l'hiver.
Claude THILLET a donc choisi l'itinéraire le plus sûr à ses yeux, celui qui emprunte l'Athabasca River dans sa partie navigable avant les rapides, jusqu'au débarcadère d'Athabasca Landing, sorte de halte composée de quelques baraques en bois regroupées autour du magasin de la Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est là où les candidats prospecteurs doivent débarquer et faire escale avant de poursuivre leur chemin, car à partir de là il reste encore plus de 2 000 kms à parcourir.
Mais à partir du milieu de l'été 1898, et cela Claude THILLET ne le sait pas encore, la ruée vers le Klondike touche à sa fin, bien qu'un petit nombre de chercheurs d'or tardifs, dont il fait partie, continuent d'arriver au printemps et au début de l'été 1899.
On sait que durant ces mêmes mois, des poignées de candidats-prospecteurs découragés s'en sont retournés à Athabasca Landing, soit pour ne pas avoir réussi à atteindre Dawson City, soit pour n'y avoir rien trouvé d'autre que la grippe, des prix exorbitants et des concessions minières déjà octroyées : en vérité bien qu'on l'ignore, ce sont là les causes les plus probables pour lesquelles Claude THILLET a renoncé à son rêve d'or et qu'il est revenu à Athabasca pour finalement s'y établir.
C'est ainsi qu'à son apogée la population des klondikers de passage atteignit près de 1 000 personnes, et que l'explosion de la demande de biens et de services eut pour conséquence une expansion considérable du secteur commercial du village: de nouveaux bâtiments se construisent et de nouveaux magasins ouvrent leurs portes. On a pu compter alors deux hôtels, un restaurant, une boucherie, deux boulangeries, quatre épiceries, un salon de coiffure, une scierie et plusieurs chantiers navals. C'est ainsi qu'Athabasca Landing était devenue une ville commerçante avec une activité sérieuse de transport de marchandises vers la vallée du Mackensie et la région de la Paix ... et dans les hôtels, restaurants et magasins généraux, les prospecteurs de retour se mêlent aux bateliers métis, aux dockers du Débarcadère et à quelques rares touristes.
Sur le profil, le signalement, la vie familiale de celui qu'on appelle désormais "Claude", le recensement local de 1901 nous dit « Claude Thillet, fermier célibataire, 44 ans (en réalité il en a 6 de moins), résidant à Athabasca Landing, né à Saint-Jacques-des-Arrêts, France. Mesure 1,70m; tour de poitrine quand pleinement déployé 101 cms; teint clair, yeux bleus, cheveux bruns rougeâtres ; corps très velu ; 2 marques de vaccination sur le bras gauche ; 3 marques de vaccination sur le bras droit » . Il est aussi précisé qu'il a été naturalisé canadien.
On sait également que du fait de ses larges épaules, il lui fallait des chemises spécialement adaptées à sa corpulence confectionnées par les dames de la South Athabasca Auxiliary au prix de 50 cents pièce.
Désormais établi dans cette petite localité d'Athabasca où tant de choses sont à faire et à développer, Claude THILLET saisit toutes les opportunités : il enchaîne différentes activités souvent menées de front, qui ont laissé de lui, selon les Archives de la ville, le souvenir d’un homme à tout faire, inventif et intelligent à tel point que les enfants du pays l’auraient surnommé « Monsieur répare-tout » , car ils pensaient qu'il était capable de tout réparer, même les oiseaux morts !
- 9 juin 1910, ingénieur à bord du steamer à aubes SS Northland Sun construit en 1907.
- 6 août 1910, de retour sur le même bateau depuis Mirror Landing, aujourd’hui Port Cornwall, où il a édifié une maison pour la Northern Transportation Company.
- au cours de l'hiver 1911-1912, gardien et chef des pompiers à la caserne locale.
- entrepreneur de battage il bat le blé avec sa batteuse à vapeur jusqu’à la ville de Boyle au nord de la province.
- il ouvre une armurerie et un atelier de réparation de machines à coudre en ville.
- il construit plusieurs bâtiments, dont le Thillet Block toujours existant.
- le conseil de la ville fait appel à lui lorsque le réseau d'eau de la ville tomba en panne, afin de l'aider à le réparer.
Cette fièvre d’activités multiformes va rapidement céder toute sa place à l'accomplissement d'un nouveau projet inspiré par l'essor de la construction qui accompagne le développement économique d'Athabasca Landing, dans le domaine de la production de briques par extraction d'argile provenant du sous-sol local ; cet argile présentant des propriétés uniques et différentes de la majorité des argiles de l’Alberta: polyvalente, elle ne se dilate pas lorsqu’elle est mouillée et conserve sa forme ; cuite à basse température, elle devient rouge après cuisson.
Ce créneau est déjà exploité depuis 1909 par un certain George GREEN qui avait démarré une activité de briqueterie en puisant dans une carrière d'argile à l'est du village, bientôt concurrencé par la création d'une seconde briqueterie par la société Athabasca Concrete Works.
Claude THILLET décide alors de s'investir dans ce nouveau secteur d'activité qu'il ressent comme extrêmement prometteur, mais avec l'ambition de se hisser au niveau d’acteur local quasi-industriel ; pour celà il achète le 3 avril 1911 un terrain à Colinton (NW 32-65-22W4), à 5,5 kms au sud d'Athabasca, de sorte de disposer d'un sous-sol argileux, et passe commande de machines afin d'équiper une usine de fabrication de briques d'une capacité de 50 000 briques par jour. Un article du journal local Northern News relate la livraison de ces machines le 21 septembre 1912.
La décision de la Compagnie de la Baie d'Hudson (CBH) de construire les vapeurs "Slave Lake" et "Athabasca River" venant encore accroître les besoins en matériaux de construction dans le quartier du Débarcadère, la briqueterie de Green profita évidemment de cette forte demande, mais elle devait désormais faire face à la briqueterie rivale de Claude THILLET et sa grande capacité de production.
Ses 25 000 premières briques sont en effet destinées à la Compagnie de la Baie d’Hudson, notamment pour reconstruire son magasin détruit par l’incendie du 5 août 1913 qui décima la ville. Les entrepreneurs affirmaient alors que ces briques étaient égales, sinon supérieures, à celles produites à Edmonton.
En 1913, il décide d'adjoindre à la production de briques de construction et de tuiles de drainage une production de poterie céramique ; il engage alors Edwald Walden, potier expert en Allemagne et aux États-Unis, pour prendre en charge la production, contrôler la qualité de l’argile et superviser la construction d'un four.
Cet hiver-là , 300 cordes de bois (900 stères) sont coupées et séchées pour servir de combustible, et de vastes hangars de séchage sont érigés.
Les débuts de cette activité complémentaire se révèlent prometteurs, mais les années passent vite et le ciel s'assombrit: le 20 novembre 1914 son père décède à Tramayes, sans que l'on sache si son fils aîné en eut connaissance, et la santé de Claude THILLET décline.
En juillet 1920, épuisé, il doit se rendre aux Etats-Unis à l’hôpital Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota, pour consulter des experts de renommée mondiale ; mais ceux-ci ayant diagnostiqué sa maladie incurable, ils ne purent que lui conseiller de rentrer chez lui …
C’est ainsi qu'au bout de 57 années d'une vie bien remplie, Claude THILLET s’éteint le 6 octobre 1920 à l’hôpital d’Athabasca, sans le soutien de sa famille, à 7 360 kilomètres de Tramayes et de sa ferme natale du Creux des Vaux.
Quant au "deuxième oncle d'Amérique" selon les propos de Jean Ernest Victor THILLET, Joanny Joseph THILLET, encore recensé à Pierreclos le 31 mars 1895, on sait qu'il a résidé en 1911 dans la ville de Sudbury, aussi appelée "Capitale du Nickel" au nord de l'Ontario et à 665 kms à l'ouest de Montréal, qu'il a été naturalisé canadien en 1906 et qu'il aurait épousé une certaine Marie Louise BOILEAU ...
Sur cet autre enfant de Saint-Jacques-des-Arrêts, toute sa vie américaine est à découvrir ... Maurice THILLET nous en contera peut-être bientôt davantage à son sujet.
Et pourtant ils n'étaient pas effacés de la mémoire de Jean Ernest Victor THILLET, propriétaire du magasin de vêtements "la Grande Maison" à Paray-le-Monial, qui se plaisait à évoquer devant son fils Maurice, à qui nous devons ces lignes, "ses deux oncles d'Amérique" ...
Car c'était bien pour avoir rêvé de l'Amérique et de la vie nouvelle qu'elle pouvait leur offrir, qu'ils s'en étaient allés, et qu'arrivés la-bas, même la famille proche les avait perdus de vue.
Jusqu'à ce que ce même Maurice THILLET, leur petit neveu, parvienne à retracer le parcours de l'aîné, Jean Claude, avec l'aide de Micheline PERRAUD de Montréal, et de Margaret ANDERSON, archiviste de la ville d’Athabasca, au Canada, et que l’on sait ce qu’il est advenu sur le continent américain de ce THILLET, fils de France parti pour l'Amérique où l'attendaient 26 années d'une vie nouvelle, exceptionnellement nourrie de rêves, de projets et d'activités différentes que l'on vient ici vous raconter.
de sa prime enfance à l'âge adulte, 30 ans d'une vie de petit paysan français
Jean Claude THILLET voit le jour le 15 novembre 1863 à Saint-Jacques-des-Arrêts dans la ferme du Creux des Vaux, et y demeure avec ses parents Antoine THILLET et Marguerite BESSON jusqu’en 1871, année à la fin de laquelle la famille quitte la ferme pour s’installer sur la commune voisine de Tramayes.
Ainé d’une fratrie de 13 enfants, mais dont 5 vécurent moins de 10 années, c’est sous le sobriquet de « Marius » qu’on le connait durant son enfance et son adolescence.
Déclaré « bon pour le service » au Conseil de Révision de Tramayes sous numéro 12 du tirage au sort, il est ainsi décrit : « cheveux et sourcils châtains, yeux roux, front couvert, menton rond, visage ovale, taille 1,66 m, signe particulier: taches de rousseurs » .
Incorporé dans la cavalerie le 12 décembre 1884, au 26ème Régiment de Dragons en garnison à Dijon, il accomplit 4 ans de service obligatoire, période durant laquelle il perd sa mère décédée le 3 mai 1887 au bourg de Tramayes ; le 8 septembre 1888, il est renvoyé dans ses foyers avec en poche un certificat de bonne conduite.
Dans les cinq années qui suivent, il effectue deux périodes d’exercices militaires dans le cadre de la réserve de l’armée active. Mais à partir de là l’administration militaire perd sa trace … et le déclare insoumis à deux reprises les 18/12/1900 et le 21/11/1908.
Car après avoir travaillé comme domestique en 1891 à Juliénas au hameau de la Bottière chez le vigneron Claude DEBIZE puis en 1892 à Brandon, et alors que son père veuf accompagné de ses filles et de son autre fils Joanny Joseph a quitté Tramayes pour le hameau du Chalument à Pierreclos, il a rejoint le port de Boulogne pour s'embarquer sur le navire « Amsterdam » de la compagnie maritime Holland America Line à destination de New-York où il arrive le 24 septembre 1894 avec ses deux bagages, accompagné de Marie JANIN et de ses cinq enfants, de Brandon, dont le mari Joseph PERRAUD est déjà installé à Montréal.

affiche de la compagnie Holland America Line
et 26 années de rêve américain
Il passe ses premières années de migrant aux Etats Unis, sans que l'on sache où il est allé et ce qu'il y fit ; peut-être avait-il rejoint l'un des états de la côte ouest pour se mêler aux importantes communautés françaises.
Mais là où il est, c'est par la presse qu'il apprend que le bâtiment l'Excelsior, qui vient d'Alaska, a accosté à San Francisco avec à son bord une cargaison d'or évaluée à un demi-million de dollars.
De l'or ? Oui, on dit que dans le Grand Nord du Canada, là où la rivière Klondike se jette dans le fleuve Yukon, il y a des gisements incroyablement riches, jusqu'à quinze fois plus que ceux de Californie quand la région connut elle-même une ruée vers l'or près d'un demi-siècle plus tôt ...
Dans ces Etats-Unis d'Amérique en pleine crise économique sous l'administration du président Grover CLEVELAND, la rumeur se répand comme une trainée de poudre, charriant avec elle les fantasmes de fortunes immenses et vite faites.
Entre 100 et 120 000 personnes ont pris en quelques mois la route du Klondike, parmi eux 30 à 40 000 seulement sont arrivés à destination après un périple d'un an, 15 à 20 000 sont devenus prospecteurs, 4 000 d'entre eux auraient trouvé de l'or, et à peine quelques centaines seraient devenus riches ...
Pour atteindre Dawson City, l'épicentre de la ruée, il fallait sacrément prendre son élan, surtout choisir le bon itinéraire, et ce n'était pas facile : on recensait 8 routes principales, dont 4 traversaient entièrement le territoire canadien. Si aucune de ces routes n'était idéale, Claude THILLET choisit celle qui passait par Calgary, Edmonton, remontait la rivière Athabasca par bateau à aubes jusqu'au débarcadère d'Athabasca Landing, puis se poursuivait par canot sur la rivière des Esclaves.
Claude THILLET est déterminé à se lancer à corps perdu dans cette grande aventure de près de 4 000 kms, et il connait les difficultés auxquelles il va devoir se confronter.
D'abord, le règlement imposé par les autorités canadiennes dès le début de la ruée qui fait obligation à tous les candidats au statut de milliardaire de disposer de suffisamment de vivres pour une année entière, ce qui représente environ 520 kgs de nourriture, auxquels il faut ajouter vêtements, outils et équipements divers : au total près d'une tonne qu'il faut acheminer.
Ensuite, le terrain. Car en dehors des voies navigables par bateaux à aubes et celles seulement accessibles aux canots, il s'agit de pistes improvisées parfois impraticables aux animaux de trait : il faut alors transporter à dos d'hommes, diviser le chargement en fractions d'environ 30 kgs, porter la première sur 3 kms, revenir chercher la seconde, et ainsi de suite, une trentaine de fois par étapes. Tout cela dans des régions d'une nature sauvage où les températures flirtent avec les moins cinquante degrés l'hiver.
Claude THILLET a donc choisi l'itinéraire le plus sûr à ses yeux, celui qui emprunte l'Athabasca River dans sa partie navigable avant les rapides, jusqu'au débarcadère d'Athabasca Landing, sorte de halte composée de quelques baraques en bois regroupées autour du magasin de la Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est là où les candidats prospecteurs doivent débarquer et faire escale avant de poursuivre leur chemin, car à partir de là il reste encore plus de 2 000 kms à parcourir.

campement de klondikers à Athabasca Landing - en arrière-plan le SS Athabasca
Mais à partir du milieu de l'été 1898, et cela Claude THILLET ne le sait pas encore, la ruée vers le Klondike touche à sa fin, bien qu'un petit nombre de chercheurs d'or tardifs, dont il fait partie, continuent d'arriver au printemps et au début de l'été 1899.
On sait que durant ces mêmes mois, des poignées de candidats-prospecteurs découragés s'en sont retournés à Athabasca Landing, soit pour ne pas avoir réussi à atteindre Dawson City, soit pour n'y avoir rien trouvé d'autre que la grippe, des prix exorbitants et des concessions minières déjà octroyées : en vérité bien qu'on l'ignore, ce sont là les causes les plus probables pour lesquelles Claude THILLET a renoncé à son rêve d'or et qu'il est revenu à Athabasca pour finalement s'y établir.
C'est ainsi qu'à son apogée la population des klondikers de passage atteignit près de 1 000 personnes, et que l'explosion de la demande de biens et de services eut pour conséquence une expansion considérable du secteur commercial du village: de nouveaux bâtiments se construisent et de nouveaux magasins ouvrent leurs portes. On a pu compter alors deux hôtels, un restaurant, une boucherie, deux boulangeries, quatre épiceries, un salon de coiffure, une scierie et plusieurs chantiers navals. C'est ainsi qu'Athabasca Landing était devenue une ville commerçante avec une activité sérieuse de transport de marchandises vers la vallée du Mackensie et la région de la Paix ... et dans les hôtels, restaurants et magasins généraux, les prospecteurs de retour se mêlent aux bateliers métis, aux dockers du Débarcadère et à quelques rares touristes.
Sur le profil, le signalement, la vie familiale de celui qu'on appelle désormais "Claude", le recensement local de 1901 nous dit « Claude Thillet, fermier célibataire, 44 ans (en réalité il en a 6 de moins), résidant à Athabasca Landing, né à Saint-Jacques-des-Arrêts, France. Mesure 1,70m; tour de poitrine quand pleinement déployé 101 cms; teint clair, yeux bleus, cheveux bruns rougeâtres ; corps très velu ; 2 marques de vaccination sur le bras gauche ; 3 marques de vaccination sur le bras droit » . Il est aussi précisé qu'il a été naturalisé canadien.
On sait également que du fait de ses larges épaules, il lui fallait des chemises spécialement adaptées à sa corpulence confectionnées par les dames de la South Athabasca Auxiliary au prix de 50 cents pièce.
Désormais établi dans cette petite localité d'Athabasca où tant de choses sont à faire et à développer, Claude THILLET saisit toutes les opportunités : il enchaîne différentes activités souvent menées de front, qui ont laissé de lui, selon les Archives de la ville, le souvenir d’un homme à tout faire, inventif et intelligent à tel point que les enfants du pays l’auraient surnommé « Monsieur répare-tout » , car ils pensaient qu'il était capable de tout réparer, même les oiseaux morts !
- 9 juin 1910, ingénieur à bord du steamer à aubes SS Northland Sun construit en 1907.
- 6 août 1910, de retour sur le même bateau depuis Mirror Landing, aujourd’hui Port Cornwall, où il a édifié une maison pour la Northern Transportation Company.
- au cours de l'hiver 1911-1912, gardien et chef des pompiers à la caserne locale.
- entrepreneur de battage il bat le blé avec sa batteuse à vapeur jusqu’à la ville de Boyle au nord de la province.

battage près de Colinton 1915
- il ouvre une armurerie et un atelier de réparation de machines à coudre en ville.
- il construit plusieurs bâtiments, dont le Thillet Block toujours existant.
- le conseil de la ville fait appel à lui lorsque le réseau d'eau de la ville tomba en panne, afin de l'aider à le réparer.
Cette fièvre d’activités multiformes va rapidement céder toute sa place à l'accomplissement d'un nouveau projet inspiré par l'essor de la construction qui accompagne le développement économique d'Athabasca Landing, dans le domaine de la production de briques par extraction d'argile provenant du sous-sol local ; cet argile présentant des propriétés uniques et différentes de la majorité des argiles de l’Alberta: polyvalente, elle ne se dilate pas lorsqu’elle est mouillée et conserve sa forme ; cuite à basse température, elle devient rouge après cuisson.
Ce créneau est déjà exploité depuis 1909 par un certain George GREEN qui avait démarré une activité de briqueterie en puisant dans une carrière d'argile à l'est du village, bientôt concurrencé par la création d'une seconde briqueterie par la société Athabasca Concrete Works.
Claude THILLET décide alors de s'investir dans ce nouveau secteur d'activité qu'il ressent comme extrêmement prometteur, mais avec l'ambition de se hisser au niveau d’acteur local quasi-industriel ; pour celà il achète le 3 avril 1911 un terrain à Colinton (NW 32-65-22W4), à 5,5 kms au sud d'Athabasca, de sorte de disposer d'un sous-sol argileux, et passe commande de machines afin d'équiper une usine de fabrication de briques d'une capacité de 50 000 briques par jour. Un article du journal local Northern News relate la livraison de ces machines le 21 septembre 1912.
La décision de la Compagnie de la Baie d'Hudson (CBH) de construire les vapeurs "Slave Lake" et "Athabasca River" venant encore accroître les besoins en matériaux de construction dans le quartier du Débarcadère, la briqueterie de Green profita évidemment de cette forte demande, mais elle devait désormais faire face à la briqueterie rivale de Claude THILLET et sa grande capacité de production.
Ses 25 000 premières briques sont en effet destinées à la Compagnie de la Baie d’Hudson, notamment pour reconstruire son magasin détruit par l’incendie du 5 août 1913 qui décima la ville. Les entrepreneurs affirmaient alors que ces briques étaient égales, sinon supérieures, à celles produites à Edmonton.
En 1913, il décide d'adjoindre à la production de briques de construction et de tuiles de drainage une production de poterie céramique ; il engage alors Edwald Walden, potier expert en Allemagne et aux États-Unis, pour prendre en charge la production, contrôler la qualité de l’argile et superviser la construction d'un four.
Cet hiver-là , 300 cordes de bois (900 stères) sont coupées et séchées pour servir de combustible, et de vastes hangars de séchage sont érigés.
épilogue
En juillet 1920, épuisé, il doit se rendre aux Etats-Unis à l’hôpital Mayo Clinic de Rochester, dans le Minnesota, pour consulter des experts de renommée mondiale ; mais ceux-ci ayant diagnostiqué sa maladie incurable, ils ne purent que lui conseiller de rentrer chez lui …
C’est ainsi qu'au bout de 57 années d'une vie bien remplie, Claude THILLET s’éteint le 6 octobre 1920 à l’hôpital d’Athabasca, sans le soutien de sa famille, à 7 360 kilomètres de Tramayes et de sa ferme natale du Creux des Vaux.
Quant au "deuxième oncle d'Amérique" selon les propos de Jean Ernest Victor THILLET, Joanny Joseph THILLET, encore recensé à Pierreclos le 31 mars 1895, on sait qu'il a résidé en 1911 dans la ville de Sudbury, aussi appelée "Capitale du Nickel" au nord de l'Ontario et à 665 kms à l'ouest de Montréal, qu'il a été naturalisé canadien en 1906 et qu'il aurait épousé une certaine Marie Louise BOILEAU ...
Sur cet autre enfant de Saint-Jacques-des-Arrêts, toute sa vie américaine est à découvrir ... Maurice THILLET nous en contera peut-être bientôt davantage à son sujet.